Rassegna stampa: “A la base de l’humanisme juif”, par le rabbin Joseph Levi
da Zenit | 14 agosto 2017
Le modèle du dialogue entre Dieu et Abraham (télécharger en .pdf)
“À la base de l’humanisme du dix-neuvième siècle se trouve la confiance dans la dimension divine de l’esprit humain et de son substrat théologique qui, selon le judaïsme, est présent dans tout esprit humain”, explique le rabbin Levi à l’occasion de sa conférence du 8 août dernier, à la rencontre « Tonalestate » (7-10 août 2017) qui a lieu chaque année dans les Alpes italiennes, à Ponte di Legno et au Col du Tonale, entre Brescia et Trente.
Une rencontre à laquelle ont participé notamment le cardinal Jean-Louis Tauran, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, le recteur de la mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, dont L’Osservatore Romano a publié les interventions en italien, et Jean Tonglet, de ATD-Quart Monde.
Voici notre traduction des extraits, publiés par L’Osservatore Romano en italien le 11 août 2017, de l’intervention de l’ancien grand rabbin de la communauté juive de Florence, Joseph Levi, intitulée « Le dialogue entre Dieu et Abraham : modèle pour un pacte de croissance et de confiance entre Dieu et l’humanité ».
À la base de l’humanisme juif
Dans une de ses dernières publication, Lévi-Strauss, le prophète de la structure universelle des révélations et des structures culturelles et anthropologiques particulières, confesse qu’il est devenu encore plus sceptique sur son universalisme structurel après avoir vu l’usage fait de ses théories pour légitimer les particularismes les plus étrangers à sa vision pourtant universaliste. Comment Abraham pouvait-il, et comment pouvons-nous, faire correspondre morale universelle et morale particulière ? Et quelles mesures et quels moyens philosophiques, religieux et scientifiques avons-nous à notre disposition pour pouvoir faire coexister et légitimer l’une et l’autre vision ? Au nom d’une morale et d’une révélation universelles, l’Occident a éliminé des populations particulières entières et, dans diverses parties du monde, aujourd’hui, des révélations religieuses justifient des crimes contre l’Occident et contre l’humanité, y compris des témoignages archéologiques d’anciennes civilisations. Quel doit être le rôle de la raison et comment pouvons-nous la faire devenir convaincante ? Une voix réelle et révélatrice capable de guider les choix d’application concrète des plus fortes révélations religieuses. Sommes-nous en mesure, dans des rencontres interreligieuses comme la nôtre, de développer une direction partagée à travers laquelle servir de médiateur ou carrément converser et traiter notre rapport avec le divin ?
Auerbach nous explique que toute la tension créée par le texte que nous entendons en tant que lecteurs qui accompagnent Abraham et Isaac dans leur voyage désespéré partagé entre confiance en un Dieu proche de l’homme, avec lequel il a conclu une alliance, et l’épisode terrible de l’épreuve, fut construite pour énoncer avec une plus grande force rhétorique le caractère miséricordieux du Dieu d’Abraham et de la Bible, Dieu qui critique et renie les sacrifices humains effectués à cette époque et dans ces régions comme une pratique cultuelle acceptable. Le Dieu de la Bible demande confiance et dévotion absolues mais répond à cette confiance par un pacte réciproque de confiance en l’homme, Abraham, représentant de l’humanité tout entière. Ce sera la confiance de Dieu dans l’homme qui le fera grandir et développera en lui une morale universelle de respect pour toute vie humaine créée par Dieu.
Appliquant la dimension émotionnelle de la raison universelle, le caractère divin de l’homme même resplendit encore plus. Ce message biblique et cette anthropologie biblique sont interprétés par le Midrash dans un rapport compliqué de respect et d’envie entre Adam et les anges qui ne peuvent pas s’empêcher de porter du respect à l’homme qui contient en lui l’image divine. Et qui, quand ils le voient marcher, nous raconte le Midrash, s’inclinent devant lui comme s’il était la divinité même qui se présentait.
Une telle conscience de la dimension divine de l’homme sera ensuite à la base de l’humanisme juif développé par la pensée juive post kantienne. L’homme, son esprit et sa structure potentielle contiennent en soi cette dimension divine universelle capable de raisonner et de trouver une morale et une manière de raisonner universelle. Le même mythe de l’image divine contenue dans l’homme créé sera ensuite à la base de développements successifs de la théologie et de l’anthropologie christologique. À la base de l’humanisme du dix-neuvième siècle se trouve la confiance dans la dimension divine de l’esprit humain et de son substrat théologique qui, selon le judaïsme, est présent dans tout esprit humain et pas seulement dans l’esprit unique et symbolique du Christ.
Cette profonde confiance entre le Dieu créateur de l’homme de la Bible hébraïque et l’humanité est exemplifié et énoncé aussi à travers un autre épisode de la vie d’Abraham, la conversation inattendue avec Dieu à propos de la future destruction de Sodome comme punition pour le manque d’humanité de ses habitants, surtout dans leurs rapports sociaux et pour leur comportement hostile et cruel envers les étrangers. Abraham et Dieu discutent dans une longue conversation sur les termes de la justice et de la sagesse, divine et humaine, sur la question de faire mourir les justes avec les méchants. Dans ce débat, je veux voir l’ouverture d’une nouvelle dimension, une nouvelle épistémologie et théologie sur le rapport entre morale divine et morale humaine, chapitre énorme et fondamental sur la réciprocité de la foi et du pacte entre le Dieu de l’univers et l’homme. Abraham, comme représentant de l’humanité, devient l’interlocuteur du divin y compris dans le domaine de la justice et de la moralité, conduisant la divinité elle-même à se confronter à la perception de la justice par l’homme, non seulement comme forme et image, mais aussi et surtout dans ses contenus. L’homme, allié du divin, a aussi droit à la parole et à la réflexion sur la moralité, sinon sur la moralité religieuse, au moins sur la moralité civique. D’autre part, c’est le divin même qui invite l’homme à entrer en dialogue sur la justice. L’homme juste, fidèle à Dieu comme Abraham, jouit de la confiance divine au point que son raisonnement et ses facultés mentales sont aussi reconnus comme en mesure de se confronter avec la raison divine sur la justice sociale, civique et, peut-être, avec l’humilité et la soumission dues, divine, problème que la Bible nous présente à travers une autre figure humble et fidèle, Job.
Pas seulement obéissance, fidélité et soumission, donc, mais aussi confiance dans l’esprit humain créé à l’imagine divine comme pouvant raisonner de manière autonome et offrir ses propres arguments dans un dialogue avec le divin. Un épisode qui doit nous engager et aller au-delà des détails, avec une invitation à réécrire et à décrire l’épistémologie et l’ontologie de la conversation avec l’homme et le divin, y compris par rapport à tant de tragédies de l’humanité. De cette lecture néo-midrashique pourraient naître les éléments pour un néo-humanisme biblique, basé sur l’immense confiance de la divinité dans le raisonnement d’une personne fidèle et dévote qui, grâce à sa conscience de la présence de l’image divine dans son propre esprit, est reconnue comme un interlocuteur possible avec le Dieu créateur, juge de l’univers. Une telle reconnaissance et légitimation réciproque fait grandir le pacte et la confiance entre Dieu et l’homme et peut devenir un modèle de jugement sur ces révélations divines qui peuvent et doivent nous guider dans le difficile effort continuel de percevoir et d’interpréter les volontés et la justice divines. Faire croître sa propre connaissance signifie faire croître sa propre souffrance. Une souffrance humaine positive de laquelle naissent la moralité et la raison.
© Traduction de Zenit, Constance Roques