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Saturne dévorant un de ses enfants

28 Luglio 2011 Nessun Commento

La légende raconte que Chronos (Saturne, chez les latins) «aux pensées tortueuses», le plus jeune parmi ses frères, triompha d’Uranus, son père, qui empêchait ses enfants de sortir du ventre maternel. Chronos n’était pourtant pas si différent de son père: cette étrange contradiction entre le désir d’engendrer et la crainte d’être anéanti par celui qu’on a engendré pousse Chronos à dévorer ses enfants. Il les garde ainsi en vie en son sein, jusqu’au moment où Zeus – le jeune héros – obtiendra de lui de les vomir l’un après l’autre.

Comme Homère le relate, Chronos dévorant ses enfants fut le père des trois rois du monde: Zeus, Poséidon et Hadès. Chronos est aussi le dieu d’où vient la richesse de la terre, divinité fêtée chez les romains le mois de décembre, pendant la saturnalia (période où même les esclaves jouissaient d’une apparence de liberté), semaine de fête carnavalesque autour des saturnalicius princeps.

Entre 1820 et 1823, Goya -connu à Madrid sous le nom de don Paco- peint à l’huile sur une couche d’enduit, dans la salle à manger de sa maison sur la rive du fleuve Manzanares, l’horrible action de Chronos. Sa peinture, très caractéristique de son style, est habitée par le sarcasme et par l’authenticité, précédant ainsi de presque cent ans l’art moderne. Il s’agit d’une des premières pinturas negras qui marquent la période la plus démoralisée et la plus découragée de sa vie. Se représente-t-il lui-même dans ce Saturne qui dévore ses enfants? Cet enfant est-il une femme ou un homme? Est-il un fantoche, une statue ou un être humain? Nous ne le savons pas. Nous restons anéantis, accablés et bouleversés par cette action morbide, de nature dantesque, une action atemporelle capable de transformer en tâche rouge, une tête et une main qui n’existent déjà plus. Nous restons horrifiés par la folie du regard de ce vieillard égaré dans le vide, par ces fantômes monstrueux qui nous approchent, sans être vus.

C’est un de ces tableaux dont on voudrait qu’il n’ai jamais été peint, comme toutes les réalités qui nous effraient, dont on espère qu’elles n’aient jamais existé et ne reviennent jamais. La difformité de ce géant, privé de l’habituelle faux avec laquelle il anéantit Uranus, et qui mange sans se rassasier, restera pour toujours dans la mémoire de l’histoire de l’humanité. Un souvenir indélébile qui devrait engendrer le désir de mettre fin à un faux âge d’or (l’âge de Chronos) et de refermer pour toujours les terribles chapitres de l’histoire, dont on garde encore les stigmates dans nos corps, souvent sans tête ni main, incapables d’indignation ni d’action.

C’est pas le temps qui ronge. Mais l’inconscience. C’est pourquoi il faudra retourner à l’école, sans évaluation ni note, une école qui puisse transformer ce qui a été déformé et qui puisse reconstruire une tête et une main, perdus dans l’estomac d’un monstre. Souvenons-nous que Chronos n’est pas notre père qui est aux cieux. Souvenons-nous qu’il a existé et qu’il existe le pie pelicane qui déchire sa poitrine pour nourrir avec sa propre chair ses petits, frères capables encore de joie, de vie, de lutte et d’espoir.

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